Venez voir le monstre, venez voir le Prof !

Venez voir le monstre, venez voir le Prof !

Venez voir le monstre, venez voir le Prof !

Comédien depuis plus de trente ans, Éric Fardeau prête aujourd’hui sa voix et son corps à Prof, un seul en scène de Jean-Pierre Dopagne mise en scène par Cédric Garoyan.
Dans cette interview, il revient sur son parcours, la genèse du spectacle et l’humanité complexe de ce professeur devenu “monstre”.

Rencontre avec celui qui incarne ce professeur pas comme les autres.

Vous êtes comédien. Comment a commencé votre métier ?

EF: Mon métier de comédien a commencé il y a une trentaine d’années, quand je me suis retrouvé dans un atelier de théâtre au lycée. Ça a donc commencé par l’Éducation nationale, on en revient encore aux professeurs. C’est mon professeur de français qui m’a donné envie de faire du théâtre.

Une fois que j’ai terminé mes études dites “normales”, c’est-à-dire le bac puis un diplôme en communication, je me suis tout de suite dirigé vers des écoles de théâtre, parce que c’est ce que j’avais envie de faire. Ensuite, je suis entré dans la profession par une compagnie de théâtre qui m’a employé pendant dix ans : une compagnie de commedia dell’arte.

Je suis devenu intermittent du spectacle, comme on dit. Pendant dix ans, on a beaucoup joué : beaucoup de Molière, beaucoup de théâtre, dans le sud de la France. J’ai aussi créé ma propre compagnie pour pouvoir jouer les pièces que j’avais envie de jouer.

entre autres “Prof” , mais aussi des comédies “intelligentes”, comme je dis, dont on sort en se disant : ça nous a fait rire, mais ça nous a aussi fait réfléchir, ça nous a émus. C’est ce que j’aime dans mon métier.

Et voilà, je fais beaucoup de théâtre.

Donc, Prof c’est une production de votre compagnie ?

EF: Oui, je pense que dans ce métier, il faut créer beaucoup d’opportunités. On peut s’ancrer en étant au bon endroit au bon moment, sans être intrusif dans la vie des personnes en face de nous. Il suffit d’être là, vraiment soi-même, juste ce que l’on est.
Les opportunités se créent en rencontrant des personnes, mais je pense que c’est aussi à nous d’aller à leur rencontre dans le monde dans lequel on vit. Si on veut une grosse production, par exemple, c’est compliqué à obtenir. Donc, c’est à nous aussi de créer nos propres opportunités.

Quand on tombe sur un texte, on peut se dire : ça, ça m’intéresse. Est-ce que je le joue seul ? Est-ce que je le joue à plusieurs ? Est-ce que j’invite un ami ? J’accorde une grande importance à l’amitié dans le travail.

Alors, soit j’amène des amis avec moi dans cette aventure, soit, s’ils ont autre chose à faire, je trouve d’autres personnes avec qui travailler. Ce seront peut-être des collègues qui, par la suite, deviendront des amis.
Je trouve que ce métier est très basé sur l’humain.

Vous jouez le rôle d’un Prof dans ce spectacle. Comment s'est passé la préparation ?

EF: Alors, c’est intéressant, parce que le metteur en scène est professeur, et il avait ce besoin de dire : dans la vraie vie, ça pourrait être comme ça.
Donc, on a essayé de trouver le professeur le plus naturel possible, c’est-à-dire non pas de réciter un texte, mais vraiment de le délivrer, comme si c’était une conversation avec les personnes en face de moi.

Le processus de création a donc été de prendre le texte et de se laisser aller sur scène.
Il y a donc ce côté très naturel, parce que c’est un professeur qui, en réalité, n’a pas l’habitude de jouer, mais en même temps, il est sur scène parce qu’on lui a demandé d’y être. Cette ambivalence est assez particulière.

Pour la pièce, quel était le processus de création ?

EF: Il est assez particulier. La pièce a aussi été créée avec Jean-Pierre Dopagne, l’auteur. Je l’ai contacté par téléphone et il était très heureux qu’on puisse jouer son texte. Il nous a accordé les droits et, ensuite, une histoire d’amitié est née. Il est venu voir la pièce à Paris et il m’a dit que c’était vraiment une merveilleuse version, une des meilleures qu’il avait vues. Il était donc très content que Prof soit interprété de cette façon.

À tel point qu’après avoir vu la pièce, il nous a proposé d’écrire une nouvelle pièce en duo, parce qu’il aime bien ce qu’on fait ensemble. Le processus de création s’est donc fait entre le metteur en scène, l’auteur, et aussi des amis qui venaient voir le travail et donner leur avis.

Parlez-nous de la pièce. Qu'est-ce que “Prof” ?

EF: Prof, c’est un seul-en-scène. Un professeur arrive sur scène et commence en disant : autrefois, vous vous seriez levés. Très vite, il parle de ses élèves en expliquant qu’ils sont comme des animaux, qu’ils agissent non par intelligence mais par instinct.

Dès le début, on comprend qu’il lui est arrivé quelque chose, sans savoir quoi exactement. Et il déroule alors le cours de sa vie : pourquoi il est devenu professeur ; parce que son père lui avait dit que c’était le plus beau métier du monde. Puis il raconte son premier professeur, sa première rentrée, ses premiers collègues, ses premiers élèves.

Au fil du récit, les choses commencent à se déliter : sa relation avec les élèves, avec ses collègues, avec le proviseur. Sa méthode d’enseigner la littérature, comme emmener les élèves au théâtre, n’est plus acceptée.

Jusqu’au jour où, en entrant en classe, un 17 février, il a un geste déplacé envers ses élèves. Ce geste va l’amener à un procès, qui le rend célèbre, mais pour de mauvaises raisons. Il reçoit alors une sanction, qu’il va appliquer.

En résumé, c’est l’histoire d’un professeur, avec ses bons et ses mauvais moments.

Et en tant que spectateur, qu' est-ce qu'on peut attendre de la pièce ? 

EF: Ce sont les spectacles que j’aime voir, mais que j’aime aussi jouer. C’est à la fois émouvant, drôle et terrifiant. Réellement terrifiant !

Mon professeur, dans la pièce, est un monstre. Parce que le geste qu’il accomplit vis-à-vis de la société est vraiment monstrueux. Et ça, ça fait réagir.

L’idée est de passer par tous les stades, de dire : c’est une vie. On rit, on pleure, on est terrifié, désespéré, amoureux. On traverse toutes ces émotions, et c’est ce que le texte essaie de faire ressentir.

Avec Cédric Garoyan, nous avons aussi cette volonté de briser le quatrième mur. Le professeur est en prise directe avec le public, sans pour autant l’inclure complètement. Ce n’est pas un spectacle interactif, mais parfois, il arrive que des spectateurs répondent aux questions ou interviennent pendant que je joue.

Un soir, par exemple, un spectateur n’avait pas éteint son portable. Je suis allé le lui prendre. Il ne comprenait pas que j’étais un être vivant en face de lui. En fait, il accompagnait quelqu’un et regardait les résultats des matchs de foot. Alors j’ai dit : non, on est en classe. J’ai gardé son portable jusqu’à la fin du spectacle. Il ne pensait pas que j’allais vraiment le faire et m’a réclamé son téléphone en plein cours. Je lui ai répondu : à la fin du cours, vous viendrez me voir. Sa femme riait beaucoup, lui était très gêné.

Je n’essaie jamais de mettre les spectateurs mal à l’aise. Au contraire, je préfère leur parler, les yeux dans les yeux et leur dire : voilà, c’est mon métier. Pendant une heure et demie, je suis professeur, mais je dialogue avec eux.

Une anecdote à nous raconter sur cette pièce ? 

EF: Il y a une histoire particulière liée à la première représentation. Quand j’ai joué, il n’y a eu aucune réaction dans la salle. En répétition, il y en avait eu, et même lors de la générale. Mais le jour de la première, rien. Un silence complet. Je ne comprenais pas. Quand je suis sorti de scène, le directeur du théâtre est venu me voir et m’a dit : c’est normal, il y a un professeur qui vient de se faire assassiner en pleine rue.

C’était le jour où Samuel Paty a été décapité. Moi, je ne savais pas. J’avais éteint mon portable l’après-midi, personne ne m’avait prévenu. Et donc, quand j’ai joué la pièce, il y avait ce silence glaçant dans la salle. Je ne comprenais pas, et en sortant, on m’a expliqué. Là, tout a pris un autre sens.

Comme le texte parle d’un professeur, de ses rapports avec ses élèves, et parfois d’actes insensés, la fiction rejoint brutalement la réalité. Pour les spectateurs, c’était très difficile. Et pour moi aussi. Cette pièce reste liée à ça.

Chaque fois que j’en parle, je ressens quelque chose de très fort : pour Samuel Paty, pour les autres professeurs. Ce soir-là particulièrement, puisque nous avons joué la pièce trois soirs de suite, et cette histoire était toujours présente, comme un poids.

On se dit alors : oui, on est comédien, on est là pour jouer un rôle, pour interpréter un professeur. On a des repères dans le texte, on sait comment ça va se passer. Mais certaines phrases prennent une résonance différente. Quand je dis que je travaille avec l’humain, ce n’est pas seulement du théâtre : je peux me laisser emporter par le rire, ou frôler les larmes.

Un de mes professeurs me disait toujours : ce n’est pas à toi de pleurer sur scène. Mais si ce que tu dis doit toucher le spectateur, alors il recevra l’émotion. Toi, tu dois rester dans le jeu

 

Informations pratiques : 

À La Folie Théàtre

À partir du 14 septembre 2025
Tous les dimanches à 19h 
Jusqu'au 4 janvier 2026 

Durée : 80min 

À partir de 14 ans 

Texte de Jean-Pierre Dopagne 
Mis en scène par Cédric Garoyan.

 

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